Simon Sebag Montefiore : la Russie, côté cour (2024)

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Simon Sebag Montefiore, historien et romancier, enquête sur les coulisses du pouvoir, de Catherine II à Staline.

ParThomas Wieder

Publié le 05 août 2010 à 11h14, modifié le 05 août 2010 à 11h14

Temps de Lecture 6 min.

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Londres, à deux pas de Hyde Park, dans le quartier très huppé de Kensington. Une rue plantée de cerisiers et bordée de maisons ultrachics aux façades d'un blanc immaculé. Ici, le mètre carré n'a pas de prix. D'ailleurs, signe qui ne trompe pas, les oligarques russes raffolent de l'endroit.

L'idée d'avoir de tels voisins amuse beaucoup Simon Sebag Montefiore. Et pour cause : sa grande passion est précisément l'histoire des femmes et des hommes qui ont gouverné la Russie. C'est avec eux qu'il passe l'essentiel de son temps depuis une quinzaine d'années. Et c'est grâce aux livres qu'il a consacrés à Catherine II, Potemkine et Staline qu'il s'est imposé sur la scène éditoriale comme l'un des historiens les plus originaux de sa génération.

La Russie, Simon Sebag Montefiore l'a découverte au début des années 1990. Il allait alors sur ses 30 ans, gagnait (déjà) beaucoup d'argent comme banquier, mais ne se voyait pas passer toute sa vie en costume trois pièces dans un bureau. "J'avais envie qu'il m'arrive quelque chose d'excitant, dit-il. Alors j'ai tout lâché. Je suis parti en ex-URSS. Ce qu'il se passait là-bas à l'époque était fascinant. J'ai réussi à bosser comme correspondant de guerre pour différents journaux. Il m'est arrivé des trucs de dingue."

Comme ce jour, en Tchétchénie, où il est passé à deux doigts d'un kidnapping en plein Grozny. "A un moment, je me suis dit : "Il est temps de rentrer." J'ai fait des chroniques à droite et à gauche, pour le Sunday Times notamment. C'était super bien payé. Mais, encore une fois, j'avais envie d'autre chose."

Pas la banque, donc. Pas le journalisme non plus. Quoi alors ? "Depuis mes études à Cambridge, dit-il, je nourrissais une véritable passion pour le siècle des Lumières, Voltaire, Diderot, etc. La Russie me fascinait également. Et puis j'adorais écrire. C'est comme ça que j'en suis venu à faire un livre sur Catherine II et Potemkine."

Parue en Grande-Bretagne en 2004, cette biographie croisée, dans laquelle il explique, comme il le résume de façon assez imagée, que l'impératrice "valait mieux que son image de nymphomane" et que son célèbre favori "n'était pas seulement un maquereau qui construisait de faux villages", est celui de ses livres qu'il juge le plus réussi. Il trouve d'ailleurs fort dommage qu'il ne soit pas traduit en français. "Valéry Giscard d'Estaing, avec qui j'ai dîné à l'ambassade de France il y a quelques mois, m'a dit qu'il avait beaucoup aimé. Il m'a confié qu'il aurait adoré vivre à cette époque. Cela ne m'a pas étonné : c'est assez son genre, vous ne trouvez pas ? Remarquez, je le comprends. Moi aussi, je suis sûr que cela m'aurait beaucoup plu..."

Le XVIIIe siècle, pourtant, Simon Sebag Montefiore n'en a pas fait sa spécialité. Car, en travaillant sur Catherine II et Potemkine, il a compris que, plus encore que leur époque, c'est leur façon de gouverner la Russie qui l'intriguait. "J'ai pris conscience que ce qui me passionne avant tout est de comprendre ce qu'est réellement le pouvoir, explique-t-il. Etudier la vie de la cour russe à l'époque est de ce point de vue quelque chose de fascinant : on voit très bien que l'essentiel se passe hors des structures institutionnelles, que le pouvoir réel des uns et des autres ne dépend pas de leurs fonctions officielles, mais de leur proximité avec l'impératrice. Tout cela est extrêmement subtil, et très fragile en même temps."

LE KREMLIN DES ANNÉES 1930

A écouter Simon Sebag Montefiore dire sa passion pour ce qu'il appelle "l'anthropologie du pouvoir", on comprend sans difficulté pourquoi il en est venu à s'intéresser à Staline. D'abord, en brossant un tableau de la vie quotidienne dans le Kremlin des années 1930 (Staline. La Cour du tsar rouge, Editions des Syrtes, 2005). Ensuite, en retraçant la première vie du futur dictateur, à l'époque où le redoutable "Sosso" n'était ni plus ni moins qu'un gangster qui passait le plus clair de son temps à semer la terreur dans son Caucase natal, avec une dilection particulière pour les braquages de banques (Le Jeune Staline, Calmann-Lévy, 2008, réédition Le Livre de poche, 766 p., 8,50 €).

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Assis dans son vaste et lumineux salon, à quelques coudées du guéridon sur lequel trône sa photo de mariage (où pose, à ses côtés, son "ami" le prince Charles), Simon Sebag Montefiore est comme dans ses livres : intarissable, érudit, mais tout sauf pontifiant. Grand admirateur de Jean Lacouture, il aime l'histoire avant tout par goût des histoires. Celles des autres, bien sûr, mais aussi celles qui ont émaillé ses propres recherches. Il faut dire que son travail d'enquêteur lui a permis de faire quelques rencontres peu banales. Avec Iouri Jdanov, le gendre de Staline : "C'était extraordinaire de le rencontrer. Staline l'adorait, il le considérait comme le Soviétique idéal. Un curieux personnage, extraordinairement cultivé, une éducation à la XIXe siècle, et en même temps le stalinien pur jus, sans le moindre recul." Avec les descendants de Mikoyan : "Eux, c'était tout le contraire. Des gens très civilisés, très libéraux. A propos du jour où ils ont appris que leur père avait été l'un des responsables du massacre de Katyn (l'exécution, par les Soviétiques, de 4 000 officiers polonais en avril 1940), ils m'ont dit : "Vraiment, ce fut une sale journée pour les Mikoyan.""

Mais c'est une autre rencontre qui l'a le plus marqué. C'était lors de son enquête sur la jeunesse de Staline. "J'avais fait paraître des annonces dans les journaux. J'étais aussi passé aux infos pour expliquer que j'étais à la recherche de documents et de témoignages. C'est comme ça que je suis tombé sur une Géorgienne de 106 ans qui avait assisté au mariage de Staline en 1906. Elle était enfant à l'époque : il fallait donc prendre ce qu'elle disait avec des pincettes. Mais c'était extraordinaire."

Derrière son look de golden boy, Simon Sebag Montefiore confesse un petit côté "fleur bleue". Il faut ainsi l'entendre raconter la genèse de son dernier livre, Sashenka (traduit de l'anglais par Irène Offermans, Belfond, 570 p., 22 €), un roman fort bien ficelé, qui retrace, à travers le destin d'une militante bolchevique devenue femme d'apparatchik, les illusions perdues de toute une génération. "Le personnage de Sashenka est né le jour où, dans les archives, je suis tombé sur la photographie d'une femme de 28 ans aux cheveux gris, absolument superbe, dont les seules informations étaient son nom - de consonance juive - et le fait qu'elle avait été exécutée en 1937. A partir de là, j'ai imaginé la vie qui aurait pu être la sienne, en la nourrissant d'histoires vraies et souvent tragiques, comme celle de l'écrivain Isaac Babel. Les tragédies familiales me hantent..."

On pourrait prendre cette dernière phrase pour un cliché. A écouter cet homme de 45 ans nous parler de son ancêtre du côté paternel, Moses Montefiore - richissime banquier originaire d'une famille juive de Livourne et anobli par la reine Victoria -, de sa "merveilleuse épouse", Santa - dont les romans d'amour se vendent comme des petit* pains -, de ses deux enfants "absolument adorables" ou de son "vieil ami" David Cameron - aujourd'hui premier ministre -, on se demande vraiment quelle place la tragédie peut bien occuper dans sa vie. Sauf quand il évoque l'histoire de sa famille maternelle, juive elle aussi, mais très pauvre celle-là, qui fut obligée de quitter l'Empire russe en 1904, après le sanglant pogrom de Kichinev. "Dans la vie, vous savez, rien n'est définitivement acquis."

Serait-ce cela, au fond, la leçon de l'Histoire ? "Que tout est fragile ? Oui, très certainement." On ne s'attendait pas à passer une matinée dans un hôtel particulier de Kensington pour discuter de la précarité des choses...

Thomas Wieder

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Author: Greg O'Connell

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